2.6 - Concrétisation sur scène


Il nous a paru logique de conclure cette partie d'analyse traitant de musique « vivante » par son aspect scénique. Bien qu'ayant un certain potentiel commercial et ce surtout aux États-Unis - Meshuggah y est vite devenu plus populaire qu'en Europe où ils avaient pourtant beaucoup joué - la musique métal reste une musique de scène, exigeant beaucoup de précision et d'énergie. L'effet de surprise inhérent aux compositions de Meshuggah, que ce soit dans les riffs ou la structure même du morceau, se reflète aussi dans leur prestation scénique.



Photo 4 : Kidman, Thordendal et Hagström en concert

Meshuggah ne joue jamais l'intégralité de son répertoire ou de celui d'un disque en particulier, et il est très probable que certains morceaux n'aient jamais été joués sur scène : le concert réunit généralement des chansons choisies dans les trois derniers albums. La complexité de ceux-ci n'est pas un carcan pour le groupe. Hagström déclare même que les problèmes pouvant subvenir sur scène sont d'ordre technique (baguettes de batterie brisées, problème de son), mais qu'il n'y a jamais d'erreur humaine ou d'oubli, nouvelle preuve que cette musique provient d'une démarche naturelle. L'apport musical qu'offre le passage du studio à la scène est une liberté dans les tempi (souvent un peu plus rapide que les originaux mais avec une précision égale).

La « présence » du groupe - son charisme - semble hypnotisante1. Les compte-rendus sont faits par un public déjà conquis ; pourtant, la notoriété de Meshuggah aux États-Unis, par exemple, à été acquise « à l'ancienne » durant les tournées avec Slayer et Tool, puisque le public découvrait d'abord sur scène un groupe dont la plupart n'avaient jamais entendu parler .


Auto-dérision

L'aspect scénique, voire théâtral de la musique métal impose souvent une sorte de frontière sonore et visuelle impressionnante entre les musiciens et le public. La production du son et les techniques musicales utilisées sont relayées et amplifiées par des détails de mise en scène, par le mouvement, la présence et l'énergie dégagées par les musiciens en action. L'image du « méchant métalleux » est alors poussée à l'extrême et mêlée à la musique afin de créer une certaine fascination. Les exemples les plus frappants (ou les plus grossiers parfois) peuvent être trouvés dans le milieu Black Metal, où la mise en scène pseudo-sataniste est presque de rigueur.

La particularité de Meshuggah dans ce domaine est une sorte d'aisance et d'auto-dérision qu'annonçait déjà leur nom. Les notions d'énergie et de mouvements quasi-dansés (liés aux instruments) ne sont pas remis en cause. Cependant, le groupe intègre souvent à sa prestation quelques éléments bruitistes issus d'expériences discographiques, comme les cordes grattées au médiator de façon bruitiste, en introduction de « Soul Burn »2. C'est aussi sur scène que la présence de Jens Kidman prend toute son ampleur. Si la qualité de sa voix est, certes, un peu moins régulière que sur disque, il en exploite mieux les possibilités. Il joue sur le contraste crié (durant les morceaux) / parlé (pour présenter ceux-ci) d'une manière décontractée et naturelle. Il arrive aussi qu'il présente les chansons de manière fantaisiste, avec des vocalises absurdes, un effet de délai sur la voix etc. Enfin, d'après plusieurs récits concordant de fans, durant la dernière tournée franco-suisse, le groupe était assez tendu sur scène durant les premières dates. Leur comportement a petit à petit glissé vers l'absurde, le chanteur passant par exemple l'aspirateur sur scène durant le concert. De même, nous trouvons sur le site officiel du groupe3 des photographies de concert où l'on peut voir Jens Kidman déguisé en une sorte d'Elvis Presley futuriste.



Photo 5 : Jens Kidman déguisé



Autres preuves de « folie » et d'auto-dérision du groupe en dehors du concert, quelques fausses photographies singeant des rituels satanistes peuvent être trouvées sur le même site. Les deux vidéos réalisées par le groupe reflètent aussi cet état d'esprit4. L'une, inclue dans le disque The True Human Design, a été réalisée à partir d'une seule caméra amateur fixée sur la tête d'un des musiciens et filmant une répétition de « Vanished ». L'autre, sur Rare Trax, montre les musiciens interprétant « New Cyanide Millenium Christ » de la même manière que sur scène, à l'exception du fait que ceux-ci sont dans leur bus de tournée. Ils n'ont pas d'instruments (Kidman chantant dans un stylo, Haake jouant seulement des baguettes) mais reproduisent le geste musical note pour note dans le vide (soli, breaks de batterie), redéfinissant la notion de théâtralité que peut revêtir leur musique. Sur le même disque, nous retrouvons aussi un long assemblage de rushes intéressants, drôles, absurdes ou impressionnants, tirés de la tournée avec Slayer et de l'enregistrement de Chaosphere.

Il existe donc une profonde auto-dérision chez Meshuggah. Cet état d'esprit prouve aussi l'absence de compromis du groupe en terme de musique et d'image. La puissance qui se dégage du groupe, sur scène ou dans les médias, est alors exempte de clichés ou d'image de marque, et reste fondamentalement musicale.





( SUIVANTSOMMAIRE )





1Divers témoignages de concerts publiés sur le site officiel, http://www.meshuggah.net.

2Sur divers enregistrements pirates de concerts circulant sur Internet.

3http://www.meshuggah.net

4Meshuggah n'a réalisé qu'une vidéo avec des professionnels (pour la chanson « Transfixion »), qu'ils ont trouvé beaucoup trop onéreuse par rapport à l'intérêt qu'ils pouvaient y trouver.