Introduction



Étudier une musique dite « vivante » comporte plusieurs inconvénients et de précieux avantages. Le recul sur les évènements et leurs conséquences pour ce type d'analyse sont limités voire nuls. L'objectivité y est souvent mise à l'épreuve par le rapport direct entre acteur et commentateur. Pourtant, vivre l'évolution d'un sujet d'étude permet d'en connaître les protagonistes et d'évaluer celle-ci à l'échelle humaine du temps. Une étude actuelle sur la musique métal, courant jeune d'une trentaine d'années, porte en elle ces problèmes et ses solutions. Il faut en dépasser l'aspect sociologique et historique, certes important pour comprendre cette communauté désormais mondiale. L'évolution1 de beaucoup de musiques actuelles dérivées du Rock, et en particulier du Métal, semble de plus en plus rapide, exponentielle. L'analyse musicologique nous permet peut-être de comprendre ce mouvement de l'intérieur, par la musique, sorte de référence immuable.

En outre, il faut avoir pu apprécier ce type de musique2 un tant soit peu afin d'effectuer la démarche volontaire d'en parler, car ses aspects extrêmes semblent parfois être une barrière infranchissable. Cet inconvénient supplémentaire prouve néanmoins que le Métal ne laisse pas indifférent, forçant la fascination ou le dégoût. C'est ainsi une manière de rappeler l'aspect émotionnel primordial de la musique dans une époque où l'homme citadin est constamment et passivement submergé par celle-ci. Le résultat sonore d'une telle musique semble parfois consciemment déshumanisé, mais pas sa volonté musicale, voire dansée.

Il est évident que l'esthétique ici étudiée est bien moins habituelle que le traitement formel dont elle fait l'objet. Néanmoins, ce cheminement offre une nouvelle approche et un certain recul pour aborder cette musique. Le choix du groupe Meshuggah au coeur de ce genre musical nous permet de comprendre la culture métal par une formation née de celle-ci, mais l'ayant intégrée pour mieux en choisir ses limites, ce qui est l'autre but de ce mémoire : montrer la musique au-delà de l'esthétique. Ceci aboutit alors à un certain aspect de la notion de culture, “qui ne correspond pas tant à connaître beaucoup de choses, mais de les connaître bien”3 et de pouvoir les « digérer » et les modeler. Nous nous sommes inspirés pour ce faire de la « Meshuggah Thesis »4 de Espen T. Hangård. Souvent citée par les amateurs de cette musique comme témoignage d'une certaine reconnaissance plus que d'une lecture, cette étude d'une dizaine pages (dans le cadre d'un cursus universitaire en Norvège) aborde les sujets principaux qui sont ici détaillés, complétés et élargis à tous les albums du groupe jusqu'à l'année 2003.

Il nous a paru primordial de montrer dans un premier temps les évènements sociaux, historiques et musicaux qui ont abouti à l'esthétique Métal, sorte d'imprégnation nécessaire. Celle-ci a elle même développé des techniques de jeu nouvelles, des outils de compositions, et intégré d'autres musiques. Le cadre alors posé, et accepté comme un mouvement humain « cohérent », nous présente une de ses multiples possibilités. Meshuggah, groupe de Métal à l'instrumentation traditionnelle, utilise des techniques de composition correspondant aussi à bien d'autres musiques et bien d'autres modes de pensée5. Son évolution au cours de quinze années finit ainsi de poser un cadre d'étude en se focalisant sur le vif du sujet.

L'analyse de la musique de Meshuggah est ensuite envisagée techniquement en séparant le rythme, les éléments plus mélodiques et le chant. C'est le chemin de la composition, en tant qu'élément conscient évoluant dans la culture rock et métal, à son résultat musical qui est mis en avant.

Enfin, un corpus d'étude puisant à travers la discographie du groupe permet de faire un cheminement inverse. Il s'agit de systématiser la démarche de Espen T. Hangård (analyse technique, relevés, analyse prosodique si possible), de comprendre et rassembler les éléments précédemment détaillés grâce à quelques chansons « représentatives », témoins de continuité stylistique mais aussi d'évolution. Les cinq analyses sont volontairement indépendantes, suivant une même grille de lecture, décrivant structure et mécanismes des morceaux, et synthétisant les éléments de la seconde partie - ce mémoire peut alors être abordé en sens inverse, de l'aspect particulier et autonome du morceau à son contexte général. Ceci permet alors d'atteindre un nouveau niveau d'écoute plus conscient, élément concret d'une étude musicologique et / ou empirique.





( SUIVANTSOMMAIRE )




1C'est-à-dire la mutation de phénomènes de mode doublées de progrès technologique, sans vision progressiste ni négative.

2Sans pour autant en connaître parfaitement la tradition, comme c'est notre cas.

3dixit Jean-Claude Trichard, professeur au département Musicologie de l'Université de Poitiers.

4Disponible à l'adresse Internet http://www.notam.uio.no/~espenth/mesh/

5Ce que nous appelons succinctement « groupe de Métal atypique ».